Quand l'inflation s'invite dans la politique salariale: impacts et solutions
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1- Les augmentations générales n'ont plus la cote mais restent utilisées
Les augmentations générales n'ont plus la cote depuis quelques années, remplacées, le plus souvent, par des augmentations individuelles. Toutefois, elles ont l'avantage d'être plus équitables face à l'inflation qui touche tous les salariés de l'entreprise. Or l'équité salariale est un fort facteur de motivation et d'engagement des salariés. Elle permet aux entreprises de retenir leurs salariés et de maintenir leur attractivité. Cela permet par ailleurs de conserver un climat social sain.
Les augmentations générales restent ainsi fortement utilisées par les entreprises pour contrer l'inflation, même si elles n'atteignent pas son niveau. Selon une étude réalisée par WTW en décembre 2022, en 2023, 90 % des entreprises prévoient d'accorder des révisions de salaires au moins deux fois par an et se situent généralement entre 2 % et 7 % (avec une moyenne de 4%). Elles devraient même continuer de se dérouler au-delà de 2023 dans 59 % des entreprises.
Toutefois, force est de constater qu'elles sont souvent jugées comme insatisfaisantes. Selon Coralie Rachet, directrice générale Walters People France (1), plus de la moitié des salariés sont déçus par les augmentations générales dès lors qu'elles sont inférieures à 5%. Conscientes de cela, certaines entreprises s'orientent vers d'autres solutions telles que la revalorisation des primes d'ancienneté, des indemnités kilométriques (exemple des sociétés Lidl France ou O2(2)) ou le développement de parts variables. Ces solutions n'étant pas toujours suffisantes, les entreprises cherchent parfois à actionner d'autres leviers.
2- Les autres mesures plébiscitées par les entreprises
Pour éviter d'avoir à s'engager dans une surenchère des rémunérations, certaines entreprises se tournent vers d'autres solutions telles que les avantages sociaux ou l'amélioration des conditions de travail. Selon les résultats de l'enquête Inflation & Reward Actions 2022 réalisée par WTW (citée précédemment), pour 34% des entreprises, l'une des principales actions pour attirer les talents et rester compétitives est de mettre l'accent sur les éléments non financiers de la rémunération. On peut ainsi citer :
- la participation aux frais de garde (CESU préfinancé) ou la mise en place d'une crèche d'entreprise,
- la participation aux frais de transports (au-delà du minimum légal, forfait mobilité…),
- la mise en place d'une prime carburant,
- l'augmentation de la participation aux frais de télétravail…
Notons que selon l'enquête réalisée par Robert Half précédemment citée, 3 avantages sont plébiscités par les salariés: une aide financière pour l'achat de carburant (43%), des offres du CSE (réductions, participation à des abonnements sportifs…) (37%) et la mise en place de la prime partage de la valeur (35%). Toutefois, parmi les critères déterminant le choix d'une entreprise par rapport à une autre, les avantages non financiers tels que les services liés au bien-être ou l'aide à la mobilité n'apparaissent qu'en 5e position derrière le salaire, l'équilibre vie professionnelle/vie personnelle ou la situation géographique.
Bien que non négligeables, ces solutions ne semblent pas suffire à elles seules. Elles peuvent s'articuler avec d'autres aides ou réévaluations. Elles peuvent notamment être un plus dans le cadre des négociations annuelles obligatoires. D'autres solutions ne sont pas non plus à oublier : l'épargne salariale, la retraite supplémentaire ou la mise en place d'une couverture sociale prévoyance et/ou frais de santé plus avantageuse. Ces solutions peuvent notamment découler d'interventions extérieures.
3- Des interventions extérieures encore timides?
Les interventions réglementaires spécifiquement liées à l'inflation sont peu nombreuses et ne visent qu'une partie des salariés. Par exemple, l'augmentation du SMIC est obligatoire mais ne vise que les plus bas salaires (à noter : une nouvelle hausse du SMIC est prévue dans le courant du printemps 2023, selon les prévisions de l'INSEE). Des mesures incitatives ont été mises en place pour faire face à l'inflation par les lois du 16 août 2022 (loi de finances rectificative et loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat), mais à titre non contraignant pour les entreprises :
- prime de partage de la valeur,
- monétisation des RTT,
- défiscalisation des heures supplémentaires,
- assouplissements concernant les frais de transports domicile - lieu de travail (frais de transports publics, prime de transport, forfait mobilités durables).
L'épargne salariale est également un moyen de lutter contre l'inflation, auquel les salariés semblent favorables. L'accord national interprofessionnel (ANI) sur le “partage de la valeur” qui vient d'être adopté par les partenaires sociaux (3) tend vers une “répartition plus équilibrée entre rendement du capital et du travail“, tout en favorisant le pouvoir d'achat des salariés. Il permettra de généraliser le partage de la valeur dans les entreprises, en imposant notamment aux entreprises de 11 à moins de 50 salariés qui réalisent un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1 % du chiffre d'affaires pendant trois années consécutives de mettre en place un dispositif de partage de la valeur (au choix : accord de participation, accord d'intéressement, abondement sur un plan d'épargne salariale, ou encore une prime de partage de la valeur). L'ANI n'a pas encore de valeur contraignante puisque les mesures qu'il contient devront être intégrées dans des textes législatifs et réglementaires pour être effectives.
Se limitant souvent à une réévaluation des minima conventionnels, les branches ont pourtant elles aussi leur rôle à jouer. D'autant plus que ce sont elles qui sont au plus proche des attentes patronales et salariales de leurs secteurs d'activité. C'est notamment ce que soutient Héloïse Petit, professeur d'économie au centre d'études et du travail du Cnam (4). Ainsi, hormis les revalorisations, plusieurs autres solutions existent. A titre d'exemple, elles peuvent soutenir les entreprises de moins de 50 salariés en négociant des dispositifs d'épargne salariale au niveau de la branche (exemple la branche des pompes funèbres ou négoce de l'ameublement). Elles peuvent aussi négocier des couvertures prévoyance, frais de santé et/ou de retraite supplémentaire plus avantageuses.
Conclusion
Dans un contexte où l'inflation est source de conflit entre les employeurs et les salariés et où le besoin de maintien d'un pouvoir d'achat ne peut pas toujours être satisfait, les entreprises se tournent vers des solutions, autres que l'augmentation du salaire mensuel : les éléments de rémunérations périphériques ou le développement de dispositifs permettant d'améliorer le quotidien des salariés. Dans ce dernier domaine, le seul mot d'ordre reste la créativité.
(1) Politique salariale: La “révolution rémunération” est en marche, Entreprises et Carrières 9/05/2022
(2) Actuel RH Grand angle “Contre l'inflation, les DRH cherchent des arrangements” du 25/03/2022
(3) Accord national interprofessionnel du 10 février 2023 relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise
(4) “L'inflation ne doit pas être négociée entreprise par entreprise. Cette question doit être portée par les branches professionnelles. C'est le niveau le plus adéquat”. Contre l'inflation, les DRH cherchent des arrangements Actuel Rh Grand angle du 25/03/2022.