Transaction entre employeur et salarié
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UN ACCORD SOUS HAUTE SURVEILLANCE JUDICIAIRE
« Transaction » mot magique pour certains employeurs qui voient dans cet accord le moyen de mettre à l’abri du regard judiciaire des fins de relations contractuelles souvent pas très «conformes».
Les parties ne prévoient-elles pas expressément dans leur accord qu’il est conclu conformément à l’art.2044 du code civil pour mettre fin à tout litige né ou à naître et qu’ayant entre elles, en application de l’article 2052 du même code, l’autorité de la chose jugée, il emporte renonciation à toute contestation judiciaire ?
Cependant cette croyance se heurte à la volonté persistante de la cour de cassation d’exiger des juges du fond un contrôle très strict sur cet accord. En effet bien qu’aucune disposition du Code du travail ne régisse spécifiquement la transaction, la Cour, pour apprécier sa validité, n’en a pas moins entendu la situer dans le contexte particulier dans lequel elle intervient, à savoir celui d’un collaborateur juridiquement subordonné à un employeur dont il dépend économiquement.
Pour ces raisons elle exclut que la transaction puisse emporter de la part du salarié renonciation à des garanties fondamentalement protectrices eu égard à son statut et qu’elle puisse intervenir sans contrepartie sérieuse de la part de l’employeur.Elle exige donc des juges saisis d’un litige dans lequel l’employeur invoque la transaction signée par un salarié comme constituant une fin de non-recevoir à son action, qu’ils contrôlent les conditions dans lesquelles l'accord été conclu ainsi que son contenu.
Rappelons que si l’erreur de droit et la lésion ne peuvent constituer une cause d’annulation de la transaction (Art. 2052 CCiv), la fraude de l’une ou l’autre des parties à l’acte, au contraire, en affectera la validité. Tel est le cas lorsque l’employeur licencie un salarié pour motif personnel alors que «la véritable cause de la rupture du contrat de travail du salarié était la suppression de son poste consécutive à des difficultés économiques». Après avoir estimé que «l'employeur avait commis une fraude à la loi sur les licenciements économiques qui avait privé l'intéressé des droits qu'il tenait d'une telle cause» les juges ont pu décider que la transaction était nulle (1) .
Mais l’appréciation de la validité de la transaction ne s’arrête pas, loin s’en faut, à la constatation d’un consentement non vicié. Les juges doivent également vérifier que la transaction:
1- a été utilisée pour mettre fin à un litige consécutif à la rupture;
2- a été conclue à une date où le contrat était légalement rompu ;
3- comporte des concessions.
I- CE QUE N’EST PAS LA TRANSACTION
La transaction ne peut organiser la rupture du contrat : elle ne peut donc avoir pour objet ni de le rompre ni de déterminer l’auteur de sa rupture.
La transaction ne constitue pas une rupture d’un commun accord du contrat
C’est ce que rappelle un arrêt du 23 Mai 2007 dans lequel la Cour de cassation approuve des juges d’appel d’avoir refusé de voir une « résiliation amiable » dans la « transaction » conclue entre les parties afin d’organiser les conditions de la cessation de leurs relations de travail. Dans cette affaire l’employeur, condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soutenait que c’était à tort que le terme de transaction avait été utilisé et que les juges auraient dû redonner à l’accord sa véritable qualification juridique. Son pourvoi a été rejeté :
«attendu que la cour d'appel a notamment relevé qu'il existait un différend entre les parties, que le document du 6 janvier 2003 portait le terme de transaction et précisait qu'il avait été conclu en application des articles 2044 et suivants du code civil et que le motif de rupture indiqué sur l'attestation ASSEDIC était "licenciement pour cause réelle et sérieuse" ; qu'elle en a exactement déduit que le document litigieux n'était pas une rupture amiable du contrat de travail, mais une transaction et que celle-ci, intervenue avant le licenciement, devait être annulée».
La circonstance en l’espèce que l’employeur ait déposé contre ce salarié une plainte pour abus de confiance sur laquelle la juridiction pénale n’avait pas encore statué, ne lui a pas permis d’échapper à l’annulation de la transaction, la décision du juge civil d'annuler la transaction étant «fondée seulement sur son antériorité au licenciement» (2).
Notons cependant, s’il est acquis que, comme dans cette affaire, l’existence d’un différend entre les parties soit un obstacle à toute rupture amiable, la Cour n’exclut pas pour autant qu’un salarié (3) ne puisse convenir d’une telle modalité de rupture, notamment lorsqu’une mesure de licenciement économique est engagée à son encontre. Mais encore faut-il comme elle l’a précisé que «ses intérêts soient préservés», ce qu’il appartient au juge de contrôler lorsqu’il est saisi d’une telle demande par le salarié :
«si le salarié concerné par un projet de licenciement pour motif économique peut, s'il estime y avoir intérêt, proposer à son employeur une rupture amiable de son contrat de travail, encore faut-il que la convention conclue entre les parties préserve ses intérêts». Elle casse donc la décision des juges qui avaient refusé d’annuler la «transaction» sans avoir recherché comme les y invitait le salarié «si la convention de résiliation amiable préservait les droits de ce dernier aux indemnités de rupture» (4) .
La transaction ne peut avoir pour objet de déterminer l’auteur de la rupture
La transaction ne peut porter sur l’imputabilité de la rupture .La Cour l’a clairement exclu : «il résulte, d'une part, des articles 2044 du Code civil et L. 122-14-7 du Code du travail qu'une transaction ne peut être valablement conclue qu'une fois la rupture du contrat de travail devenue définitive par la réception, par le salarié, de la lettre de licenciement dans les conditions reprises par l'article L. 122-14-1 du Code au travail et ne peut porter sur l'imputabilité de la rupture laquelle conditionne l'existence de concessions réciproques» . Dès lors est entachée de nullité la transaction «qui a pour objet essentiel de déterminer l’auteur de la rupture» (5).
On peut s’interroger sur le point de savoir si cette jurisprudence ferait aujourd’hui obstacle à la possibilité de conclure une transaction après une «prise d’acte de rupture» par le salarié. En effet dans ses dernières décisions la Cour énonce clairement que la prise d’acte entraîne la rupture du contrat et que la saisine ultérieure du juge a pour objet de qualifier cette rupture en licenciement ou démission selon que les faits reprochés à l’employeur justifiaient ou non la prise d’acte (6). La rupture étant « définitive » à cette date, pourquoi les parties ne pourraient-elles pas régler entre elles le différend qui en découle? Sous réserve qu’avant la prise d’acte elles ne se soient pas mises d’accord sur le principe de la transaction, cet acte aurait bien pour objet de régler un différend né de cette rupture.
La question se pose alors de savoir si elles pourraient régler la question de la qualification de la rupture? Un arrêt rendu le 4 avril 2007 ne laisse- t-il pas entrevoir cette possibilité lorsque la Cour de cassation approuve des juges du fond d’avoir annulé une transaction dont les termes avaient été convenus avant le licenciement en relevant que «la transaction …n’a donc pu valablement régler le différend entre les parties sur la qualification de la rupture ou sur ses effets» ? Cette faculté permettrait à l'employeur comme au salarié de trouver contractuellement une solution équilibrée, prenant en compte leurs intérêts respectifs, notamment dans les affaires où règne une grande incertitude pour l'un comme pour l'autre, telles celles où il s'agit de qualifier ou non de modification du contrat une "mesure" prise par l'employeur. Mais la question est loin d’être tranchée à ce jour.
II- LA DATE DE CONCLUSION DE LA TRANSACTION
Pour apprécier si les parties pouvaient valablement transiger le juge doit s’assurer de l’antériorité d’une rupture notifiée dans les formes légales.
La transaction doit être postérieure à la rupture du contrat de travail
La cour de cassation ne cesse depuis son revirement de 1996 (8) de rappeler cette condition sans laquelle la transaction est nécessairement entachée de nullité. Il en est ainsi quand bien même le salarié aurait bénéficié dès l’engagement de la procédure de licenciement de l’assistance et du conseil de ses avocats (9) ou d’un défenseur syndical . La Cour, refusant que les parties puissent s’entendre sur le contenu de la transaction avant le licenciement, a approuvé la cour d’appel d’Aix-en-Provence d’avoir déclaré nulle une transaction : ayant relevé que la salariée «avait reçu le projet de transaction avant son licenciement et s’en était entretenue avec un défenseur syndical, elle a pu en déduire…que les parties s’étaient entendues sur la transaction qui bien que signée après, n’a donc pu valablement régler le différend entre les parties sur la qualification de la rupture ou sur ses effets» (10).
Les pratiques consistant selon le cas à antidater ou postdater les correspondances ne résistent pas à un contrôle des juges qui ne sont pas dupes de l’existence de ces montages.
Afin de garantir le respect de cette exigence chronologique il convient de savoir comment déterminer et matérialiser la date de rupture .La réponse diffère selon que l’on est en présence d’un licenciement ou d’une démission.
Transaction et licenciement
Deux exigences doivent être cumulativement satisfaites, l’absence de l’une d’entre elles entraînant nécessairement la nullité de la transaction: le licenciement doit avoir été notifié par lettre recommandée et le salarié doit avoir pris connaissance du ou des motifs de licenciement.
La lettre recommandée accusé réception prévue par l’art. L122-14-1CT n’a pas ici une simple valeur probatoire ; elle est une condition de validité de la transaction : une lettre remise en main propre, même à la demande du salarié, expose inéluctablement l’employeur à la nullité de la transaction (11).
Mais attention au simulacre de procédure : lettre recommandée AR ne signifie pas enveloppe recommandée AR contenant une page blanche ! C’est ce qu’illustre l’arrêt rendu par la Cour le 24 janvier 2007 : le 11 mars est la date de l’entretien préalable à licenciement d’un responsable de magasin. S’est-il réellement tenu ? Le 20 mars le salarié se présente au bureau de poste, accompagné d’un huissier, pour y retirer un envoi sous pli recommandé émanant de son employeur et contenant une feuille blanche. La lettre de licenciement sera antidatée au 14 mars et remise au salarié le 27 mars qui est également la date de la transaction. Bien que les informations contenues dans l’arrêt ne permettent pas de l’affirmer, on peut penser que lettre de licenciement et transaction étaient déjà rédigées et signées mais non remises au salarié quand, le 20 mars,il s’était présenté au bureau de poste. La cour d’appel de Douai, après avoir notamment considéré que l’envoi d’une feuille blanche ne pouvait être assimilé à un licenciement effectué verbalement et permis à l’employeur de prouver les griefs qu’il faisait au salarié, avait rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sa décision est censurée par la cour de cassation au motif qu’ :
«aux termes de l’article L122-14-1 du code du travail, l’employeur qui décide de licencier un salarié, doit notifier le licenciement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ; que ne constitue pas la notification d’un licenciement l’envoi d’une feuille blanche et qu’il ne peut être suppléé par la remise au salarié en main propre d’une lettre» (12).
Eu égard à son objet la transaction ne pourra être conclue qu’après que le salarié ait pris connaissance effective du contenu de la lettre recommandée AR :
«la transaction ayant pour objet de prévenir ou terminer une contestation, celle-ci ne peut-être valablement conclue par le salarié licencié que lorsqu’il a eu connaissance effective des motifs du licenciement par la réception de la lettre de licenciement prévue à l’article L122-14-1 du code du travail» (13). Peu importe donc la date de présentation de la lettre par les services postaux.
Transaction et démission
Les dispositions légales ne soumettent la notification de la démission à aucun formalisme particulier. La validité d’une transaction ne peut donc être remise en cause au seul motif qu’elle n’aurait pas été notifiée par lettre recommandée AR quand bien même le contrat de travail comporterait une telle exigence. En effet en prévoyant une telle notification le contrat n’institue «qu’une règle de forme qui ne peut être sanctionnée par la nullité de la transaction». Il appartient alors au juge dans le cadre de son pouvoir souverain d’estimer si la transaction a été ou non conclue postérieurement à la remise de la lettre de démission (14).
Mais la validité de la transaction est subordonnée au fait que la démission soit la manifestation d’une volonté claire et non équivoque. Ainsi est entachée de nullité la transaction conclue par un journaliste, après qu’il ait invoqué la clause légale de cession du journal pour mettre fin à son contrat, dès lors qu’il ne s’était résolu à agir ainsi, que parce que l’actionnaire majoritaire modifiait sa rémunération .
Cette condition prend une importance toute particulière depuis les arrêts rendus par la Cour de cassation le 9 mai 2007. La Cour a en effet admis qu’un salarié ayant donné sa démission sans réserve puisse demander au juge que cette démission soit requalifiée en prise d’acte (16).
III- CONTENU DE LA TRANSACTION ET ROLE DU JUGE
Après qu’il se soit assuré que la transaction satisfait aux règles qui viennent d’être examinées, la question se pose de savoir si le juge, chargé d’en apprécier le contenu , peut aller jusqu’à se prononcer sur le motif de licenciement.
La Cour de cassation considère qu’il «n’a pas à se prononcer sur la réalité et le sérieux du ou des motifs énoncés dans la lettre de licenciement» et qu’il doit « pour apprécier si des concessions réciproques ont été faites et si celle de l’employeur n’est pas dérisoire vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales » (17).
La Cour approuve donc des juges d’avoir estimé que l’indemnité transactionnelle de six mois de salaire accordée à un salarié ne constituait pas une réelle concession, après avoir relevé que la lettre de licenciement, qui ne mentionnait que «suppression de poste», « n’était pas suffisamment motivée au regard des exigences légales» (18).
Une lettre suffisamment motivée doit comporter des faits vérifiables. Ainsi n’est pas justifiée la décision des juges rejetant la demande de dommages et intérêts présentée par un salarié licencié pour «problème de collaboration avec supérieur hiérarchique» au motif selon eux qu’il avait renoncé à toutes autres réclamations, l’entreprise lui ayant accordé une indemnité transactionnelle supérieure à un mois de salaire après dix-huit mois de collaboration. La Cour casse leur décision car un tel motif «était trop vague pour être matériellement vérifiable en sorte que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse» (19).
Dès lors que l’énoncé des motifs est suffisant le juge ne peut décider qu’ils ne constituent pas une cause de licenciement. C’est ce qu’a rappelé la Cour à des juges qui s’étaient livrés à l’analyse des faits pour apprécier l’existence de la faute grave invoquée par l’employeur et avaient conclu que ce dernier n’avait consenti aucune concession : «l’existence de concessions réciproques, qui conditionne la validité d’une transaction doit s’apprécier en fonction des prétentions des parties au moment de la signature de l’acte .(...) Pour déterminer si ces concessions sont réelles, le juge ne peut, sans heurter l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction avait pour objet de clore en se livrant à l’examen des éléments de fait et de preuve» (20).
Mais le juge peut, pour apprécier l’exist