Le monde d'après : réflexion sur le sens au travail
, Delphine Guidat
, Richard Arjoun
Que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère professionnelle, les français ont vu leur monde basculer avec la crise sanitaire liée à la Covid-19. Avec le confinement – et même après - le rapport au travail a évolué. Épisode 2 de notre série sur le Monde d'après…
Prendre le temps de réfléchir à son avenir professionnel
Avec les deux mois de confinement marqués pour certains par des agendas vides, le temps de réflexion a été conséquent ! Pour d'autres, cette période a été assimilée à une quête de sens professionnel, un déclic pour un changement de travail ou une envie de reconversion longtemps ignorée. Cette pause a permis à beaucoup de prendre du recul sur leur situation professionnelle et constater que leur métier, leurs tâches n'étaient pas valorisantes, que leurs missions ne leur convenaient pas ou plus ou encore que l'ambiance de travail était loin d'être épanouissante. Présentée comme le "graal" de toute vie professionnelle réussie, la reconversion est à la mode selon Laurent Polet, co-fondateur de Primaveras l'École du Sens au Travail. En tant que professionnel de l'accompagnement des transitions de carrière, il témoigne de la tendance de la reconversion pendant cette crise et de l'enjeu d'en saisir l'opportunité.
Le rythme imposé au quotidien en temps normal a laissé place à l'introspection d'abord pour l'utilité sociale du travail accompli, ensuite pour la place qu'occupent la famille et le travail dans la vie de chacun. En effet, de plus en plus de salariés mettent en avant le besoin d'un plus grand engagement dans la vie familiale. Passer plus de temps auprès des siens et partager plus de moments est devenu une réelle revendication ! En effet, l'enquête "Le regard des salariés à l'heure de la crise", réalisée par Wittyfit et Siaci Saint Honoré en partenariat avec l'IFOP a révélé que 31% de télétravailleurs apprécient de pouvoir passer plus de temps avec leurs proches.
Conserver la frontière vie privée – vie professionnelle
Par ailleurs, le télétravail imposé par le confinement n'a pas apporté que des avantages. La frontière vie privée / vie professionnelle s'est rapidement amincie. Avec la " dilution " des "repères temporels" déclare la sociologue Anca Boboc dans La Revue des conditions de travail, les journées de travail deviennent de plus en plus longues avec des interruptions et pauses moins fréquentes. Les échanges professionnels se mélangent aux échanges familiaux, les parents constamment sollicités soit par les enfants soit par les personnes âgées ou personnes en situation de handicap de leur entourage. Les collègues, managers et clients ont été parfois témoins de situations embarrassantes. Il n'a pas été toujours simple de séparer vie privée et vie professionnelle. Cette crise a provoqué chez les français le sentiment d'avoir, comme jamais, été touchés dans leurs relations sociales, leur liberté et leur intimité. "Travailler est une activité spécifique qui doit bénéficier d'un cadre bien défini" et "le risque de ne pas mettre de limite au travail quand on est chez soi est aussi une réalité" met en garde la sociologue du travail et directrice de recherche au CNRS, Danièle Linhart.
Des avantages sociaux à la clé
Le confinement a rendu la sphère familiale et professionnelle tellement perméables, que les entreprises sont maintenant appelées à prendre en compte la famille dans l'organisation du travail et avantages offerts aux salariés. Allant des gardes d'enfants à l'engagement de professeurs particuliers pour les " aides au devoir ", l'entreprise d'aujourd'hui ne peut nier son rôle d'accompagnement et de soutien aux parents pour assurer leur plein engagement professionnel. Thomas Cornet, co-fondateur de Wittyfit révèle que " plus que du bien-être, il s'agit pour les salariés d'être bien dans leur travail pour être en mesure de donner le meilleur d'eux-mêmes. L'entreprise doit se réinventer avec ses salariés ".
Prendre conscience des limites du télétravail
Comme affirmé par la plupart des études, le travail à distance favorise l'autonomie, l'organisation du travail et la flexibilité des horaires tant recherchées par les travailleurs, en effet, l'enquête de la Chaire Management et Santé au Travail de l'IAE de Grenoble auprès de 1336 salariés, a démontré que 40 % des télétravailleurs estiment avoir gagné en tranquillité et en concentration et ont assumé pour la plupart leurs missions, avec beaucoup de succès. En revanche, l'isolement pour certains et la surcharge pour d'autres, sont des sources de stress et de risques professionnels. Selon l'enquête Wittyfit (Juin 2020), 66 % des répondants évoquent une motivation qui a diminué d'où un risque de baisse de la productivité ! Loin du bureau et des rituels avec les collègues, de nouvelles habitudes s'installent et les salariés s'éloignent de la vision commune de leur entreprise. Les objectifs ne sont plus autant partagés et les intérêts ne sont plus communs, à mesure que les préoccupations de la vie privée ont tendance à devenir prépondérantes. Une telle situation peut être l'occasion pour le salarié de se tourner vers de nouveaux horizons, se découvrir de nouvelles aspirations et potentiellement constituer un risque, une perte pour l'entreprise à un moment où dans ce contexte de post-Covid, elle doit redoubler d'efforts pour conserver ses ressources humaines, attirer les meilleurs collaborateurs pour reprendre, maintenir, poursuivre le développement de son activité.
Jihen Louati, étudiante en MBA Gestion des Ressources Humaines au sein de MBA ESG, a également contribué à la réalisation de cette lettre.