Ordonnances Macron : exit DP, CE, CHSCT : le CSE entre en scène
L'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2017-1386* du 22 septembre 2017 qui fusionne les institutions représentatives du personnel (IRP), créant le comité social et économique (CSE), était subordonnée à la parution d'un décret, apportant les précisions nécessaires à son application. Celui-ci étant publié au JO du 30 décembre 2017**, l'ordonnance est pleinement applicable depuis le 1er janvier 2018. Tour d'horizon des mesures prévues par le décret.
Généralités sur le contenu du décret
La plupart des dispositions règlementaires applicables aux anciennes instances sont reprises à l'identique par le décret. Tel est le cas par exemple de la rédaction du PV des réunions, de l'enregistrement des réunions, de l'organisation matérielle des élections, etc.
Nous n'aborderons donc que les spécificités réglementaires liées à la fusion des IRP en une instance unique : nombre de mandats réduit, crédit d'heures mutualisable, consultation unique…
Par ailleurs, tout en fusionnant le CE, le CHSCT et les DP, l'ordonnance nº 2017-1386 a réformé en profondeur certaines dispositions, créant des possibilités de transfert entre le budget de fonctionnement du CSE et son budget " activités sociales et culturelles ", ou encore en précisant les conditions de recours à l'expertise par les représentants du personnel. Nous développerons donc également les modifications réglementaires liées à ces nouveautés.
Nombre d'élus au sein du CSE et crédit d'heures
A défaut d'accord d'entreprise, le décret prévoit l'élection d' 1 titulaire (et 1 suppléant) dans les entreprises ou établissements distincts de 11 à 24 salariés, avec 10 heures de délégation pour le titulaire (article R. 2314-1 CT). Le nombre de représentants augmente en fonction de l'effectif de l'entreprise. On passe à 4 titulaires dans les entreprises ou établissements de 50 à 74 salariés, avec 18 heures de délégation chacun, et jusqu'à 35 titulaires dans les entreprises d'au moins 10.000 salariés, avec 34 heures de délégation chacun (soit un volume global de 1190 heures de délégation).
Le nombre d'élus est donc en légère baisse par rapport aux anciennes IRP, mais le volume global d'heures de délégation un peu plus important (sachant qu'il peut être augmenté en cas de circonstances exceptionnelles, comme auparavant).
Le crédit d'heures peut par ailleurs être annualisé et mutualisé (comme au sein de la délégation unique du personnel). Le cas échéant, les élus doivent en avertir l'employeur au moins 8 jours à l'avance par écrit. Ces possibilités ne doivent toutefois pas permette à un élu de disposer dans le mois de plus d'une fois et demi le crédit d'heures dont il bénéficie normalement (article R. 2315-5 et 6 CT).
En ce qui concerne les élus en forfait jours, le crédit d'heures est regroupé en demi-journées qui viennent en déduction du nombre annuels de jours travaillés fixé dans la convention individuelle du salarié. Une demi-journée correspond à 4 heures de mandat (depuis la loi Travail). Le décret précise que lorsque le crédit d'heures restant est inférieur à 4 heures, l'élu bénéficie d'une demi-journée supplémentaire qui vient en déduction du nombre annuel de jours travaillés (article R. 2315-3 CT).
Temps payé comme temps de travail effectif, au-delà du crédit d'heures
L'ordonnance prévoit que les membres du CSE, en plus de leurs heures de délégation, bénéficient de temps payé comme temps de travail effectif (article L. 2315-11 CT). Il s'agit du temps passé :
- à la recherche de mesures préventives dans toute situation d'urgence et de gravité, notamment lors de la mise en œuvre de la procédure de danger grave et imminent prévue à l'article L. 4132-2 ;
- aux réunions du comité et de ses commissions, dans ce cas dans la limite d'une durée globale fixée par accord d'entreprise ou à défaut par décret ;
- aux enquêtes menées après un accident du travail grave ou des incidents répétés ayant révélé un risque grave ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave.
En ce qui concerne le temps passé par les membres du CSE aux réunions de ses commissions, le décret prévoit qu'à défaut d'accord d'entreprise, ce temps n'est pas déduit des heures de délégation dès lors que la durée annuelle globale de ces réunions n'excède pas :
- 30 heures pour les entreprises de 300 salariés à 1000 salariés ;
- 60 heures pour les entreprises d'au moins 1000 salariés.
Il est par ailleurs précisé que l'effectif est apprécié une fois par an, sur les douze mois précédents, à compter du premier mois suivant celui au cours duquel a été élu le comité (article R. 2315-7 CT).
Nombre de membres du CSE central
Le CSE central ne peut compter que 25 titulaires et 25 suppléants au maximum (contre 20 maximum actuellement), sauf accord sauf accord unanime avec l'ensemble des organisations syndicales (article R. 2316-1 CT).
Le décret fixe ainsi un maximum, mais ne précise pas le nombre de délégués à élire pour chaque établissement. Sa composition est donc librement fixée par accord. A défaut d'accord, la Direccte est compétente pour la répartition des sièges entre les différents établissements. Une nouveauté est à signaler : la Direccte doit rendre sa décision dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Cette décision peut faire l'objet d'un recours devant le tribunal d'instance dans un délai de 15 jours suivant sa notification afin qu'il soit statué sur la répartition. Si la Direccte ne répond pas dans le délai de deux mois, ceci équivaut à une décision implicite de rejet qui peut être contestée dans un délai de 15 jours devant le tribunal d'instance (article R. 2316-2 CT).
Crédit d'heures des représentants de proximité
L'ordonnance prévoit que l'accord d'entreprise découpant l'entreprise en établissements distincts peut mettre en place des représentants de proximité (article L. 2313-7 CT). Ceux-ci ne sont pas obligatoirement membres du CSE. Ils peuvent être désignés parmi les salariés de l'entreprise.
Le décret prévoit que l'accord de mise en place des représentants de proximité ne doit pas obligatoirement allouer de crédits d'heures supplémentaires si ceux-ci sont déjà membres du CSE (article R.2314-1 CT). Pour ceux qui ne sont pas membres du CSE, ils devront bénéficier d'un crédit d'heures spécifique fixé par accord.
Crédit d'heures des membres du conseil d'entreprise
Le décret prévoit qu'à défaut d'accord, chaque élu du conseil d'entreprise participant à une négociation dispose d'un nombre d'heures de délégation qui s'ajoute aux heures de délégation dont il bénéficie en tant que titulaire du CSE (article R. 2321-1 CT).
Cette durée ne peut être inférieure à :
- 12 heures par mois dans les entreprises jusqu'à 149 salariés ;
- 18 heures par mois dans les entreprises de 150 à 499 salariés ;
- 24 heures par mois dans les entreprises d'au moins 500 salariés.
Découpage de l'entreprise en établissements distincts
L'ordonnance prévoit que le nombre et le périmètre des établissements distincts de l'entreprise n'est plus établi au sein du protocole d'accord préélectoral, mais par un accord collectif de droit commun. À défaut d'accord, un accord peut être conclu avec la majorité des membres titulaires au CSE. A défaut d'accord, l'employeur décide seul du découpage de l'entreprise, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel. Il porte sa décision à la connaissance de chaque organisation syndicale représentative et de chaque organisation syndicale ayant constitué une section syndicale dans l'entreprise par tout moyen permettant de conférer date certaine à cette information (article R. 2313-1 CT). Dans le cas où des négociations se sont tenues avec le CSE, l'employeur réunit l'instance afin de l'informer de sa décision.
Les organisations ou le cas échéant le CSE peuvent, dans le délai de 15 jours à compter de la date à laquelle ils ont été informés, contester la décision de l'employeur auprès de la Direccte. L'administration dispose d'un délai de 2 mois à compter de la réception de la contestation pour prendre sa décision (article R. 2313-2 du code du travail). Cette décision peut alors faire l'objet d'un recours devant le tribunal d'instance dans un délai de 15 jours suivant sa notification. Le tribunal d'instance devra statuer sous 10 jours (article R. 2313-3 CT). Un pourvoi en cassation pourra être formé contre cette décision du tribunal d'instance dans un délai de 10 jours.
Délais de consultation du CSE
L'ordonnance (article L. 2312-16 CT) a prévu que le CSE dispose d'un délai d'examen suffisant pour rendre ses avis. Ce délai est fixé par accord (et n'est plus limité à un minimum de 15 jours). A défaut d'accord, le décret précise les délais imposés au CSE pour rendre ses avis. Les délais sont similaires aux délais existant actuellement pour le CE (articles R. 2312-5 et s. CT). Ils s'appliquent pour l'ensemble des consultations prévues au code du travail pour lesquelles la loi n'a pas fixé de délai spécifique.
À défaut d'accord, le CSE sera ainsi " réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif " s'il ne s'est pas prononcé à l'expiration d'un délai de :
- 1 mois pour les consultations simples ;
- 2 mois en cas d'intervention d'un expert ;
- 3 mois en cas d'intervention d'une ou plusieurs expertises dans le cade de consultation se déroulant à la fois au niveau du CSE central et d'un ou plusieurs CSE d'établissement.
En cas de consultation simultanée du CSE central et d'un ou plusieurs CSE d'établissement, le délai de 3 mois ne bénéficiera qu'au CSE central. Les CSE d'établissement devront rendre et transmettre leur avis à l'instance centrale " au plus tard sept jours avant la date à laquelle ce dernier est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif ". Sinon, le CSE d'établissement sera réputé avoir rendu un avis négatif.
Budget des activités sociales et culturelles du CSE
Le CSE peut décider, par une délibération, de transférer " tout ou partie " de l'excédent annuel du budget des activités sociales et culturelles au financement du budget de fonctionnement (article L.2312-84 CT), ce qui était interdit auparavant.
Le décret limite le transfert de l'excédent annuel du budget des activités sociales et culturelles vers le budget de fonctionnement ou à une association dans la limite de 10% de cet excédent (article R. 2312-51 CT).
Budget de fonctionnement du CSE
Le CSE peut décider, parallèlement, de transférer " tout ou partie " de l'excédent annuel du budget de fonctionnement au financement des activités sociales et culturelles (article L.2315-61 CT).
En ce qui concerne ce transfert : le décret ne prévoit pas de limitation. L'intégralité de ce reliquat pourrait servir à financer des activités sociales et culturelles.
Notons toutefois que le projet de loi de ratification, qui sera discuté au Sénat à partir du 23 janvier, prévoit le plafonnement du transfert de l'excédent annuel du budget de fonctionnement vers le budget des activités sociales et culturelles.
BDES
La mise en place d'une base de données économiques et sociales (BDES) est toujours obligatoire dans les entreprises d'au moins 50 salariés. Néanmoins, un accord d'entreprise peut désormais définir (article L.2312-21 CT) :
- l'organisation, l'architecture et le contenu de la base ;
- ses modalités de fonctionnement (notamment les droits d'accès et le niveau de mise en place dans les entreprises comportant des établissements distincts) ;
- son support et ses modalités de consultation et d'utilisation.
A défaut d'accord, le décret définit le contenu de la BDES. Celui-ci est plus étoffé qu'auparavant, tant pour les entreprises de moins de 300 salariés (article R. 2312-8CT), que pour celles d'au moins 300 salariés (article R.2312-9 CT). Dans ces dernières, l'employeur devra intégrer à la BDES la quasi intégralité du contenu du bilan social.
Les modalités de mise à disposition de la BDES évoluent. La BDES peut toujours, selon le décret, être diffusée sur un support informatique ou papier pour les entreprises de moins de 300 salariés, mais seul le support informatique est accepté dans les entreprises d'au moins 300 salariés (R. 2312-12 CT).
Délais préalables à une expertise diligentée par le CSE
Les cas de recours à un expert sont identiques à ceux ouverts au CE et au CHSCT (notamment dans le cadre des consultations récurrentes, pour les consultations ponctuelles relatives aux opérations de concentration, à l'exercice du droit d'alerte économique, aux projets de licenciement collectif, ou encore en cas de risque grave). En revanche l'ordonnance n°2017-1386 modifie les modalités des expertises, leur financement et leur contestation.
La possibilité, ouverte par l'article 2 de la loi d'habilitation***, d'imposer au CSE " la sollicitation obligatoire de devis auprès de plusieurs prestataires " n'a pas été reprise dans l'ordonnance n°2017-1386.
En revanche l'ordonnance institue des droits et obligations à la charge de l'expert. Celui-ci a trois jours à compter de sa désignation pour demander toutes les informations complémentaires qu'il juge nécessaires à la réalisation de sa mission, quel que soit l'objet de l'expertise, et l'employeur a ensuite cinq jours pour répondre à cette demande (article R. 2315-45 CT).
L'expert doit en outre notifier à l'employeur le coût prévisionnel, l'étendue et la durée de l'expertise demandée par le CSE (article L.2315-81-1 CT). Le décret précise que l'expert a dix jours à compter de sa désignation par le CSE pour effectuer cette formalité (article R.2315-46 CT).
Délais de remise du rapport par l'expert au CSE
Le délai maximal dans lequel l'expert remet son rapport est désormais précisé par le décret pour chaque catégorie d'expertise (article R. 2315-47 CT) :
- lorsque le CSE a recours à un expert dans le cadre d'une consultation par l'employeur, le délai est de 15 jours avant l'expiration des délais de consultation du CSE ;
- lorsque le CSE a recours à un expert-comptable dans le cadre d'une opération de concentration, le délai est de huit jours à compter de la notification de la décision de l'Autorité de la concurrence ou de la Commission européenne saisie du dossier ;
- à défaut d'accord d'entreprise ou d'accord entre l'employeur et le CSE adopté à la majorité des membres titulaires élus, lorsque le CSE a recours à une expertise en dehors des cas précités, le délai est de deux mois à compter de la désignation de l'expert. Il peut être renouvelé une fois pour une durée maximale de deux mois, par accord entre l'employeur et le CSE.
Par ailleurs, il est indiqué que lorsqu'une expertise porte sur plusieurs champs, elle doit donner lieu à l'établissement d'un rapport d'expertise unique. L'expert désigné par le CSE peut s'adjoindre la compétence d'un ou plusieurs autres experts sur une partie des travaux et il doit, dans ce cas, vérifier que ces derniers disposent des compétences nécessaires au bon déroulement de la mission d'expertise ou, le cas échéant, de l'habilitation exigée par la loi (article R. 2315-48 CT).
Délai de contestation de l'expertise
Selon le décret, l'employeur a dix jours pour saisir le juge (président du TGI) lorsqu'il entend contester la nécessité de l'expertise, le choix de l'expert, le coût prévisionnel, l'étendue, la durée ou encore le coût final de l'expertise (article R. 2315-49 CT).
Les modalités de l'habilitation des experts en qualité du travail et de l'emploi
Dans les entreprises d'au moins 300 salariés, le CSE peut faire appel à un expert " technique " de son choix à l'occasion de sa consultation :
- sur l'introduction de nouvelles technologies et sur tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (article L.2315-94 CT) ;
- ou en vue de préparer la négociation sur l'égalité professionnelle (article L.2315-95).
- L'article L.2315-96 prévoit par ailleurs que le CSE peut faire appel à un expert en " qualité du travail et de l'emploi " habilité :
- lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement ;
- en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
Ces experts " technique " ou " en qualité du travail et de l'emploi " devront être " habilités ". On attend pour cela l'accréditation d'un organisme certificateur en ce qui concerne l'expert technique, et un arrêté du ministre du Travail pour l'expert en qualité du travail. Ces dispositions n'entreront en vigueur que le 1er janvier 2020. En attendant, les experts que peuvent solliciter le CSE bénéficient d'un agrément (cf. arrêté du 21 décembre 2017 portant agrément des experts auxquels le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou le comité social et économique peuvent peut faire appel (JO du 6/01/2018).
Date d'application des mesures prévues par le décret
Le décret est entré en vigueur le 1er janvier 2018.
Attention : les mesures qu'il prévoit ne s'appliqueront qu'une fois le CSE effectivement mis en place dans l'entreprise. Tant que le CE est en place, pendant la durée des mandats en cours, les anciennes règles (calcul du budget, expertises….) continuent de s'appliquer (article 9 V de l'ordonnance n°2017-1386).
Il est néanmoins déjà possible de négocier des accords concernant :
- la BDES ;
- les consultations récurrentes ;
- les consultations ponctuelles.
Ils s'appliquent aux IRP existantes à la date de leur conclusion (CE ou CSE).
Découvrez notre fiche pratique sur le calendrier indicatif pour l'élection du CSE
* Ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, JO 23/12
** Décret n°2017-1819 du 29 décembre 2017 relatif au comité social et économique
***Loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, JO 16/09