Comment est appliqué le taux d’intérêt de retard en cas de condamnation par la juridiction prud’homale ?
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- Auteur
- Jean-Pierre GONCALVES
Dans le cadre d’une décision de justice prud’homale, l’employeur peut être condamné à payer à un ancien salarié des sommes de nature salariale et des sommes de nature indemnitaire.
Les sommes de nature salariale doivent être intégralement soumises aux charges sociales. La condamnation au paiement du salaire est assortie des intérêts au taux légal, même si le salarié ne justifie d’aucune perte (C. civ. art. 1231-6).
En pratique, dans le cadre de l’exécution des condamnations prud’homales, surgit régulièrement une difficulté sur le point de savoir si, en l’absence de précision dans la décision à exécuter, les sommes allouées par la juridiction doivent être considérées comme exprimées en brut (c’est-à-dire avec la possibilité pour l’employeur de déduire les charges sociales préalablement au versement des sommes) ou en net (autrement dit sans déduction préalable des charges sociales).
En principe, tout élément assujetti à charges est exprimé en 'brut'. Et, lorsque le jugement et qu’aucun texte ne précisent le caractère brut ou net de la créance de condamnation ou toute somme issue du contrat de travail, ces créances sont considérées comme étant exprimées en brut.
La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur ce point, mais des incertitudes persistent même si sa jurisprudence relative au caractère brut ou net des condamnations prud’homales a évolué pour se fixer dans le sens du caractère "brut" des condamnations. Elle a d’abord considéré qu’en l’absence de précision sur le caractère brut ou net des condamnations prud’homales, les sommes étaient nécessairement exprimées en net. (Cass. soc. 9 novembre 2004, n° 02-42447). Puis, elle a modifié sa position en considérant que le montant des demandes, qu’il s’agisse de demandes de nature salariale ou indemnitaire, est dans la très grande majorité des cas, sinon systématiquement, établi à partir du salaire mensuel brut (Cass. soc. 25 avril 2007, n° 05-44932).
Il en résulte que les condamnations prud’homales seraient, dans la plupart des cas, exprimées en brut. Elle a affiné sa position dans deux arrêts plus récents du 19 mai 2016 et du 16 mai 2018 (Cass. soc. 19 mai 2016, n° 15-10954 - Cass. soc. 16 mai 2018, n° 16-26448). Il résulte de ces deux arrêts qu’à partir du moment où le juge ne se prononce pas expressément sur l’imputation des charges sociales, la condamnation est nécessairement exprimée en brut, de sorte que la somme versée au salarié est égale au montant de la condamnation dont auront été déduites les charges sociales.
Mais un arrêt de 2019 semble avoir mis fin au débat sur le caractère brut ou net des condamnations du conseil de prud’hommes à défaut de précision des juges. En effet, la position de la Cour de cassation sur le sujet n’était pas toujours clairement établie.
Par conséquent et faute de précision contraire, la condamnation prononcée à l’encontre de l’employeur, tant à titre de rappels de salaire que de dommages et intérêts pour licenciement abusif, doit s’entendre en brut. Ainsi, dès lors que le juge ne se prononce pas expressément sur le caractère brut ou net de la somme, la condamnation est nécessairement exprimée en brut, de sorte que la somme versée au salarié est égale au montant de la condamnation dont auront été déduites les charges sociales ( Cass.soc. 03.07.19, n°18-12.149).
S’agissant des intérêts légaux, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement (Article 1231-7 du Code civil). Pour les sommes ayant le caractère de dommages et intérêts, les intérêts courent à compter de la décision de justice condamnant le débiteur. En matière prud’homale, pour les sommes portant sur des rappels de salaire (indemnité de préavis, indemnité de congés payés, prime d’ancienneté, etc.), les intérêts courent soit à compter de la saisine de la juridiction prud’homale ou, s’ils ont fait l’objet d’une réclamation antérieure, à compter de la date de la demande de paiement. Pour les sommes ayant le caractère de dommages et intérêts, les intérêts courent à compter de la décision de justice condamnant le débiteur.
Compte tenu de ce qui précède, l’assiette du calcul des intérêts est la somme à verser au salarié-créancier après déduction du montant de la condamnation des sommes obligatoires à verser aux organismes sociaux. S’agissant de la retenue à la source, il est utile de rappeler que l’employeur est simplement « mandaté » par l’Etat en vue collecter les impôts qui incombent au salarié. L’employeur condamné par le juge à verser des sommes au titre des congés payés et des rappels de salaires doit retenir les impôts. Les sommes à verser sont des sommes imposables et les intérêts de retard sur ces sommes sont également imposables au titre de la retenue à la source. A cet égard, il ressort de la jurisprudence du Conseil d’Etat que les intérêts moratoires sont taxables comme les traitements et salaires qui sont versés en compensation de salaires non perçus. L’employeur condamné à verser des salaires ou congés payés doit retenir sur le montant à principal et sur les intérêts les impôts (CE 4 déc. 1992 ; CE 21 nov. 2007).
Par conséquent, l’employeur condamné par une juridiction prud’homale doit déduire du montant auquel il est condamné les cotisations sociales et les impôts. Enfin, il est utile de rappeler qu’en l’absence de précision par les juridictions prud’homales sur le caractère brut ou net des condamnations, les parties peuvent initier la procédure contradictoire de la requête en interprétation (Art. 461 et suivants du Code de procédure civile).
C'est le juge qui a rendu la décision qui est compétent. Il ne peut qu'interpréter sa décision, sans y apporter de modification. Il ne peut qu'expliquer les termes obscurs ambigus de sa décision, corriger une maladresse de rédaction. Les parties ont tout intérêt à demander au juge de se prononcer sur le caractère des condamnations, brut ou net.
Sources :
Article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale
Article R.1452-5 du Code du travail
Artciles 1231-6 et 1231-7 du Code civil
Articles 461 et suivants du Code de procédure civile
Arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat :
Cass. soc. 9 novembre 2004, n° 02-42447
Cass. soc. 25 avril 2007, n° 05-44932
Cass. soc. 9 mai 2007, n° 05- 45613
Cass. soc. 19 mai 2016, n° 15-10954
Cass. soc. 16 mai 2018, n° 16-26448
Cass. soc. 03.07.19, n°18-12.149
CE 4 déc. 1992
CE 21 nov. 2007